Beyrouth, vivre dans une ville trompe-l'œil | Transcription

Un regard de près sur la ville de Beyrouth, capitale du Liban, présentée dans l'émission 7 milliards de voisins sur RFI, par Emmanuelle Bastide et l'invitée du jour, Delphine Minoui.

Voici l'émission complète 

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– Tout le monde est voisin. 7 milliards de voisins.
– 7 milliards de voisins, avec Emmanuelle Bastide.

– Bonjour, bienvenue. 7 milliards de voisins sur RFI, série d'émissions spéciales cet été, vous le savez. Vivre en ville, 10 émissions, 10 villes à raconter au quotidien par des étrangers installés depuis plusieurs années. Aujourd'hui, deuxième numéro de cette série : vivre dans une ville trompe-l'œil¹: Beyrouth, au Liban. Bonjour Delphine Minoui.

– Bonjour.
– Vous êtes journaliste au Figaro, vous venez de quitter Beyrouth après 4 années passées dans cette ville si particulière du Moyen Orient. C'est vous qui avez choisi le titre de l'émission, "Beyrouth, vivre dans une ville trompe-l'œil". Je pense que ça mérite d'un certain décodage².
– En fait, j'aime beaucoup comparer Beyrouth au visage d'une libanaise, visage parfaitement lifté³, lèvres pulpeuses, nez refait, rides injectées de botox. Donc, en apparence, tout est parfait, lisse, magnifique, ça brille, c'est clinquant⁴, tout est superbe, mais en profondeur, eh bien, Beyrouth est criblée d'impacts⁵, je dirais impacts de la guerre civile qui a duré des années. Problèmes aussi liés à l'inflation galopante et il est pas toujours facile de vivre à Beyrouth. Il faut en avoir les moyens. Et puis, la frénésie immobilière aussi est en train de détruire. Alors, c'est vrai qu'on voit des tours clinquantes, magnifiques à Beyrouth, mais derrière, eh bien, il y a un patrimoine qui est en train de mourir.
– Et tout ça dans cette toute petite ville !
– Une ville minuscule, finalement, puisqu'il n'y a qu'entre 1 million et 1 million et démi d'habitants qui vivent à Beyrouth la journée, je dirais, puisque les Libanais aiment aussi souvent rentrer au village pour dormir.
– Un mouchoir de poche⁶, hein.

¹ trompe-l'œil : en peinture, c'est un genre où le peintre joue avec les perspectives afin de tromper le spectateur et lui donner l'illusion de voir quelque chose d'autre. Il s'agit donc d'une apparence trompeuse, d'une illusion.
² décodage : action de décoder, déchiffrer, comprendre un texte ou un message.
³ lifté : de lifting, intervention de chirurgie esthétique pour supprimer les rides.
⁴ clinquant : qui brille beaucoup mais qui n'a pas de valeur.
⁵ criblé d'impacts : qui présente des traces de balles.
⁶ un mouchoir de poche : métaphore pour dire "minuscule".




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– Delphine Minoui donc à Beyrouth, plus qu'ailleurs peut-être l'organisation géographique de la ville préfigure⁷ de la vie quotidienne, cette juxtaposition⁸ des communautés.
– Complètement. Beyrouth en fait reste marquée, hein, par tout ce passé lourd de la guerre civile, donc concrètement.
– De 1975 à 1990.
– De 1975 à 1990, qui a duré longtemps et qui a laissé des traces, c'est-à-dire quand vous vous promenez dans la capitale, vous voyez encore beaucoup de bâtiments criblés d'impacts, les traces d'obus, les traces de balles, donc c'est encore très très très présent et même au niveau des quartiers, vous avez encore une ville qui reste divisée entre un côté chrétien, Beyrouth est, et un côté musulman, Beyrouth ouest, et dès qu'il y a le moindre signe d'une nouvelle crise politique, et bien il y a les vieux démons qui ressortent et il arrive souvent, quand vous voulez prendre un taxi hein. Vous vivez à Achrafieh, le quartier chrétien, vous voulez prendre un taxi pour aller de l'autre côté, il arrive souvent que le chauffeur refuse de vous y emmener et tout d'un coup c'est cette ligne de démarcation, la fameuse ligne verte, qui ressurgit...
– Dont on ne parle pas dans les livres d'histoire.
– Qui ressurgit, et là, il y a cet effroi, cette peur, de traverser cette ligne.
– Et que l'on soit un étranger expatrié ou un Libanais, finalement on ne choisit pas son logement, son quartier par hasard, sur un coup de cœur, comme on pourrait le faire à Paris.

⁷ préfigurer : présenter à l'avance un caractère, un modèle futur.  
⁸ juxtaposition : association, rapprochement de deux ou plusieurs éléments, souvent très différents l'un l'autre.



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– Là, c'est la chute vertigineuse⁹ en termes de tourisme. Vous voyez de moins en moins d'Européens à Beyrouth, et puis tous les habitants de la région qui avaient l'habitude de même, je pense aux Jordaniens, je pense aux Saoudiens, qui venaient par voiture, qui prenaient la route en traversant la Syrie pour venir à Beyrouth, et bien ils ne peuvent plus venir puisque, étant donné le...

– Ils pourraient venir en avion.
– Ils pourraient venir en avion mais, vous savez, les gens du Golfe, notamment, adorent, c'est un peu la culture de la frime¹⁰ , donc ils adorent venir avec leur propre voiture, vitres teintées, et cetera, et donc là c'est plus possible.
– Ouais, justement. Alors, vous parliez de voitures. Beyrouth, ville trompe-l'œil, LA ville des grosses voitures, côté vitrines, des grosses voitures et des voitures qui n'arrêtent pas d'envahir le petit espace urbanisé de Beyrouth puisque c'est toujours très bien dans une famille libanaise d'avoir deux, voire trois voitures. Mais, professionnellement, c'est un objet qui a son utilité, je veux dire en termes de crédibilité professionnelle, par exemple pour certaines professions ?
– C'est incroyable, c'est vraiment la culture de l'apparence, au Liban, et donc c'est, la voiture, c'est la carte d'identité, c'est le signe extérieur de richesse. J'ai eu une amie libanaise, qui est avocate, elle démarre dans sa profession. Elle a à peine 30 ans. Et bien, récemment elle a vendu sa mini-voiture parce qu'elle considérait qu'elle n'allait pas décrocher certains contrats, elle n'allait pas réussir à attirer certains clients si elle n'avait pas une voiture qui en jetait plein la vue¹¹. Donc elle a troqué¹¹ sa voiture, elle en a acheté une nouvelle, à crédit. Elle s'est ruinée pour acheter sa voiture. Donc maintenant elle se déplace à Beyrouth avec cette espèce de gros 4x4 aux vitres teintées et d'après ce qu'elle me dit, au niveau des clients, ça marche beaucoup mieux.

⁹ vertigineux : étonnant, impressionnant, au point de causer le vertige.
¹⁰ frime : apparence, comportement affecté, maniéré pour se mettre en valeur. (argot)
¹¹ en mettre/jeter plein la vue : impressionner. (argot)
¹² troquer : échanger. (argot)




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– Au même temps, il faut rappeler que c'est une ville qui reste très conservatrice au niveau des mœurs, pas seulement d'ailleurs dans les milieux musulmans, mais aussi dans les milieux chrétiens, avec des filles qui doivent quand même rester vierges avant le mariage, quittes à passer, voilà, passer par la culture de l'hymen¹³ si nécessaire pour être présentables au mari au moment voulu.
– Ce qui veut dire qu'une partie de Beyrouth est forcément, profondément choquée de certaines femmes à l'avant-garde, comme celle qui a créé un magazine érotique en arabe, le premier magazine érotique en arabe.

 ¹³ hymen : petite membrane qui ferme partiellement l'orifice vaginal.

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