Comme vous l'aurez compris, il s'agit de termes, pour la plupart adjectifs, qui ont été formés à partir du nom d'une personne, généralement en ajoutant un suffixe comme -esque, -ien, -in ou -ique. Cette formation naît du besoin de créer des mots qui se rapportent à la personne de référence, par exemple célinien, adjectif qui désigne en littérature tout ce qui appartient à l'écrivain Céline, ou le nom marxiste, personne qui adhère et soutient les idées du philosophe Karl Marx, ou encore cornélien, pour tout ce qui se rapporte à l'auteur Corneille, mais aussi, par extension, pour ce qui manifeste une certaine rigueur, une certaine grandeur d'âme à la manière des personnages des œuvres de Corneille.
Généralement, si l'anthroponyme permet deux dérivés, le suffixe -ien désigne ce qui est relatif à la personne dont dérive l'adjectif, par exemple gaullien "relatif à la personne de de Gaulle", tandis que le suffixe -iste donne le sens de partisan de la personne de référence ou du courant politique dont elle est le représentant emblématique, par exemple gaulliste "relatif à de Gaulle en tant que représentant d'une certaine politique."1
Dans les domaines savants, on trouve d'autres préfixes, comme -ia en horticulture et -ite ou -ium en physique, qui ont donné naissance à des mots comme bégonia (fleur en l'honneur de Michel Bégon, collectionneur passionné de botanique), magnolia (arbre en l'honneur du botaniste Pierre Magnol), berkélium (du nom de la ville de Berkeley, où ce métal a été trouvé pour la première fois), einsteinium (du nom d'Abert Einstein) ou sternbergite (en l'honneur du naturaliste Kaspar Maria von Sternberg).
Outre à ces types de relations, il y en a une autre qu'on peut appeler relation métonymique (métonymie = figure de style où l'on remplace un concept par un autre qui est directement associé au premier par un lien logique), qui est à mon avis la plus intéressante et donc celle qu'on va voir de plus près dans cet article. De cette catégorie, font partie les mots comme cornélien, dont on a déjà parlé brièvement, et beaucoup d'autres, par exemple :▼
- draconien, qui désigne quelque chose d'une rigueur excessive, de Dracon, législateur athénien célèbre pour sa sévérité.
- épicurien, qui invite aux plaisirs, car la doctrine d'Épicure se base sur la recherche du bonheur de l'âme.
- chauvin, qui manifeste un patriotisme fanatique, dérivé du nom de Nicolas Chauvin, soldat patriote connu pour cette caractéristique.
- narcissique, qui s'admire soi-même, dérivé de Narcisse, héros de la mythologie qui, selon Ovide, tomba amoureux de lui-même et qui a donné le nom aussi à une fleur jaune.
- sadisme, goût pervers de faire souffrir l'autre, du nom du Comte de Sade, auteur de nombreux romans à l'érotisme cruel.
- masochisme, goût sexuel lié à la souffrance ou à l'humiliation de soi-même, du nom de l'auteur de romans érotiques Leopold von Sacher-Masoch.
- hermétique, relatif à l'hermétisme, base de l'alchimie du Moyen Âge, une science compréhensible seulement par les adeptes, caractère qui a donné naissance au sens de ce qui est difficile à comprendre. On parle aussi de fermeture hermétique, pour ce qui est parfaitement fermé, grâce à une technique inventée par les alchimistes. Le mot dérive de Hermès, le dieu considéré le fondateur de l'alchimie.
Issus du domaine littéraire, on dit aussi :
- rocambolesque, dérivé du nom Rocambole, personnage de fiction du roman-feuilleton Les Drames de Paris, justicier dont les exploits sont toujours pleins de péripéties extraordinaires et invraisemblables. C'est pour cela que rocambolesque est devenu synonyme de fantastique, invraisemblable, extraordinaire.
- ubuesque, qui évoque la cruauté, le cynisme, l'absurde et le grotesque du père Ubu, personnage de la pièce de théâtre Ubu roi.
- dantesque, qui frappe par son caractère exceptionnel et par sa grandeur, caractéristiques de la Divine Comédie de Dante.
- machiavélique, dérivé de Machiavel, penseur et philosophe de la Renaissance, connu, entre autres, pour son ton polémique dans la vision des choses, donc désigne ce qui montre ce caractère, cet esprit d'intrigue, de perfidie et de ruse.
- orwellien, terme qui évoque la surveillance et l'univers totalitaire dans lesquels vivaient les personnages du roman 1984 de George Orwell.
- kafkaïen, pour ce qui rappelle la réalité absurde, sinistre et cauchemardesque des œuvres de Franz Kafka.
- pantagruélique, pour ce qui rappelle le personnage de Pantagruel (de François Rabelais), son appétit insatiable, les dimensions et la force de son corps.
De la même manière, on a créé les mots suivants pour désigner des ordres religieux qui suivent le style de vie ou les idées de la personne dont le nom est à la base de la dérivation :
- franciscain, du nom de François d'Assise.
- bénédictin, du nom de Saint-Benoît.
- bernardin, du nom de saint Bernard.
- ursuline, du nom de sainte Ursule.
Il n’y a pas, comme avec certains adjectifs, renvoi pur et simple au référent et aux connaissances qu’on peut en avoir, mais plutôt appel à des traits associés au nom propre, parfois intimement parfois de beaucoup plus loin. Ainsi, si patelinage a le sens de « fausseté, intention hypocrite et doucereuse », en relation avec le contenu de ce nom propre associé au personnage de maître Patelin, si tartufferie signifie « comportement hypocrite » et renvoie au contenu très connu du nom propre Tartuffe, ampérage, et catherinette nécessitent, pour être interprétés en fonction du nom propre base (ce qui n’est en général pas le cas), un détour par une relation métonymique inventeur/inventé (pour ampérage) ou patronne/protégée (pour catherinette)2.Et elle ajoute :
La relation métonymique est clairement présente dans bien des cas, de même que la relation métaphorique, qui est évidente dans les dérivés verbaux : bovaryser n’est bien sûr pas « se transformer en Mme Bovary » mais « se comporter comme Mme Bovary », de même que cicéroniser ne signifie pas « (faire) devenir Cicéron » mais « parler comme Cicéron »3 .Pasteuriser est un autre verbe de dérivation anthroponymique. Ce mot désigne effectivement l'action de conserver certains aliments selon le procédé inventé par le scientifique français Louis Pasteur.
Exemples :
C'est ainsi que Mehdi commença à mener cette vie rocambolesque qui devait demeurer l'un des épisodes les plus singuliers de son existence.(L'entonnoir de ma jeunesse, Ouafi Ammour)
Maigrir, trop souvent synonyme de draconien, doit répondre désormais à une exigence raisonnable, devenir un art de vivre qui soit salutaire pour le corps et l'esprit. (Maigrir et rester mince sans effort, Gilles Santini)
À partir de là, nous avons imaginé un personnage romanesque qui tiendrait quand même un peu d'une sorte de James Bond.[...]Je me souviens que j'avais montré les premières esquisses graphiques à ma compagne et qu'elle m'avait fait remarquer que le visage du héros me ressemblait trop, me reprochant une attitude assez narcissique.
(article paru dans le Figaro)
Un nouveau cauchemar savamment orchestré par un Douglas Kennedy plus machiavélique que jamais. Un roman noir surprenant dans un Paris inattendu et crépusculaire hanté par les ombres de Simenon et Buñuel.
(résumé de La femme du Ve, Douglas Kennedy)
Lutter pour la pérennité universelle de
notre langue n'est pas une attitude chauvine car la France ne doit pas
ressembler à une forteresse assiégée dont on voit mal d'ailleurs comment
elle pourrait juguler l'irrésistible ascension de l'anglais.
(article « La langue française n'a pas dit son dernier mot »)
Le « choc de simplification », cette tartufferie : on parle de choc de simplification, pourtant la règlementation continue de se complexifier au fur et à mesure que les décrets entrent en application.
(article publié sur contrepoints.org)
Les auteurs de la présente invention ont proposé de traiter des fromages à des températures inférieures à la température de pasteurisation, afin de réaliser des nouveaux produits ayant une texture et un goût proches des produits de départ.
(brevet pour le procédé de fabrication de fromages)
Impossible de passer à côté du phénomène 50 Nuances de Grey ! La relation sadomasochiste entre Christian et Anastasia a provoqué des émules chez des milliers de fans et s’est même logée dans certains de leurs fantasmes.
(article sur Femme actuelle)
Notes :
1 Les mots, leur sens, leur forme, leur création et leur reconnaissance, de D. Limame
2 Les dérivés de noms propres dans le TLFi : quelles bases pour quels sens ?, de Sarah Leroy.
3 Ibidem.
Conseils de lecture :
- Les noms collectifs : grammaire, exemples et accord
- Les diminutifs en français (chat/chaton, fille/fillette...)
- Prononciation : faites attention à ces mots !
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...continuez à étudier le français entre quat'z'yeux !
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