mercredi 18 janvier 2017

Transcription | Violences sexuelles: un train de retard | Nicole Ferroni

Nicole Ferroni se prononce aujourd'hui sur un sujet très délicat, notamment la violence sexuelle, mais plus précisément sur l'injustice des délais de prescription d'un crime.

La violence sexuelle n'est pas un thème nouveau pour la bouche de M.me Ferroni. Elle en avait déjà parlé dans un épisode de la série Postnatal au titre "Stéphanie et la violence conjugale", dont voici la transcription, une de ses chroniques meilleures à mon avis.

Retrouvez Nicole Ferroni chaque mercredi matin à 8h55 sur France Inter.
Vous pouvez faire appel à la transcription ci-dessous pour mieux comprendre la chronique.




▼ Transcription :



- Bonjour Nicole Ferroni.
- Oui, Bonjour M. Cohen.
- Alors on me dit...non, on m'a rien dit.
- Si, je suis pressée, on vous a dit, non ?
- Voilà, on me dit que vous êtes pressée.

- Et oui, effectivement, je suis très pressée, je suis d'ailleurs tellement pressée que je n'aurais pas le temps de parler ni des invités ni de la primaire ni des présidentielles, puisque avant il y a une échéance1 bien plus importante, celle de l'arrêt des travaux parlementaires, puisque, oui, députés et sénateurs arrêtent de travailler le 27 février. Il reste donc un tout petit délai pour faire passer des lois, et le mieux c'est donc d'en parler. De quoi ? Eh bah de délais, justement, et plus précisément des délais de prescription dont il sera peut-être question au Sénat. 

Alors, pour rappel, le délai de prescription, c'est quoi ? C'est cette durée au-delà de laquelle une personne qui enfreint2 la loi ne peut plus être poursuivie pour le délit ou le crime qu'elle a commis, et ce délais en France pour un crime est de 10 ans, donc pour viol ou pour meurtre. Donc si quelqu'un vous tue, vous n'avez que 10 ans pour ressusciter3 et traîner votre agresseur en justice4, au delà de quoi, en plus d'être mort vous ne serez jamais indemnisé, et dans le cas d'un viol sur mineur, le délai de prescription est de 20 ans pile, à compter dès la majorité de la victime. Autrement dit, vous avez jusqu'au jour de vos 38 ans pile pour porter plainte, mais pas 1 de plus car le délai de prescription est comme un train qui part : avant l'heure, c'est possible, mais après l'heure il est trop tard

Et justement pour éviter que trop de gens ne perdent le train, il avait été proposé à l'Assemblée nationale récemment que ce délai soit doublé, passant de 10 à 20. Sauf dans le cas, bien sûr, de viol sur mineur, dont le délai de prescription lui restait à 20 ans, ce qui est un peu dommage puisque beaucoup de victimes peuvent avoir des amnésies5 post-traumatiques plus longs que ça, donc ça fait un petit peu, c'est bien si la vérité sort de la bouche des enfants, mais pas plus de 20 ans. Et bref donc l'Assemblée nationale après avoir adopté ce texte, l'envoyé au Sénat, qui l'a modifié, ce qui fait que l'Assemblée quand elle l'a récuperé, elle était furax6 comme des parents de garde alternée. Elle a fait "Oui mais attends, mais qu'est-ce que t'as fait papa sénat ? Moi. je dis on rallonge le délai de prescription pour les crimes, lui les allongent pour la poursuite sur la presse. Tu rentres pas dans cet état. Tu retournes là-bas".

Et du coup à cause de ces chamailleries7, il est possible que cette loi ne soit pas adoptée avant la ligne rouge de fin février. Et en même temps certains acteurs de la justice disent "Il ne faut surtout pas qu'elle soit adoptée. La justice ressemble déjà tellement à une vieille gare saturée de voyageurs perdus et de trains planqués, si on retient en plus les trains de la justice encore 10 ans de plus, le système va exploser". Et ça vraiment, on peut le comprendre. Oui, sauf qu'en 2015, l'association Mémoires traumatiques et victimologie, nous apprend dans son rapport annuel qu'en moyen en France, le délai qu'il faut à une victime de violences sexuelles pour accéder à une prise en charge médicale psychologique satisfaisante est de 13 ans. Donc, en moyen en France, il faut 13 ans à une victime de violences sexuelles pour qu'elle ait accès à des simples informations de "Ah au fait j'sais pas si tu le sais mais la victime c'est toi et, en fait, ce qui t'arrives, c'est pas de ta faute. Enfait tu aurais dû et tu dois encore être protégé, soutenu et réparé pour ce qui t'est arrivé".

Et ce n'est souvent qu'à partir de cet instant, que les victimes peuvent trouver la force d'entamer8 une démarche auprès de la justice mais du coup, en France, pour elle, il se passe quoi ? Et ben après avoir fait ce long trajet de 13 ans dans le train de la prise de conscience, de la prise en charge, elle est arrivée en courant dans la gare de la justice, elle cherche le chef de gare, elle fait "Oui monsieur, excusez-moi de vous déranger. En fait je vous explique : il y a quelques années j'ai été violée, la personne qui m'a fait ça est partie avec un bout de moi, du coup je cherche absolument le train de la justice parce que c'est aussi celui de ma reconstruction donc il faut vraiment que je le prenne". Et le chef de gare fait "Ah oui, oui, oh là là, je vois ce train, mais sauf qu'il est déjà parti". "Il est parti?" "Ah oui, il vous a attendu 10 ans et vous vous en avez mis 13 pour arriver. "Oui je sais mais moi, je savais pas. Et à quelle heure part le prochain ?" "Ah mais de prochain il n'y en a pas, c'était le seul." 

Et du coup les victimes se retrouvent là sur le quai, dépossédées d'une part d'elles-mêmes et souvent sur le même quai de leur agresseur, puisque 3/4 des victimes d'agression sexuelle sont des mineurs dont l'agresseur est un proche. Alors bien sûr, personne ne veut d'une justice asphyxiée9, ce n'est pas ce qu'on peut se souhaiter, mais en France, tant que les victimes de violences sexuelles par leur trop faible prise en charge et par ce délai de prescription trop court, ne parviendront à chopper la correspondance qui pourrait enfin les ramener vers elle-même, c'est, hélas, notre sentiment de justice qui prend un train de retard.

- Nicole Ferroni, merci, vous serez là mercredi prochain. Si vous ratrapez votre train, évidemment.


▼ Dictionnaire :

1échéance : date à laquelle un engagement doi être satisfait.
2enfreindre : ne pas respecter.
3ressusciter : revenir de la mort à la vie.
4traîner en justice : poursuivre en justice, traîner devant les tribunaux.
5amnésie : perte partielle ou totale de mémoire.
6furax : furieux.
7chamaillerie : querelle.
8entamer : commencer.


J'espère que cette chronique vous a plu. N'oubliez pas d'aimer la page Facebook du blog et de partager la transcription. N'hésitez pas à laisser un commentaire si vous avez des questions ! ;)

Continuez à étudier le français entre quat'z'yeux !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire